Le livre d’Ebenezer Le Page – Gerald Basil Edwards

Je suis de très près les parutions des éditions Monsieur Toussaint Louverture, depuis 2018 je dirais, pour leurs chartes graphiques, pour leur soin apporté au travail éditorial et pour leurs choix de textes. J’adore leur édition de la série Anne de Green Gables (of course) même si je suis bloquée au troisième. Et j’ai adoré Personne ne gagne dans leur collection « Les grands animaux ». Je lorgne évidemment sur plusieurs de leurs titres et pour moi cette maison d’édition est une valeur sûre. Et là, quand ils ont présenté leur prochaine parution dans la collection « Les grands animaux », Le livre d’Ebenezer Le Page, je ne sais pas pourquoi (Si, je sais. Va falloir que je te parle de ma passion pour les vieux.), je me le suis noté direct. Et de fait, lors du lâché de Bestiole mensuel en librairie mercredi d’il y a deux semaines…Je me suis roulée par terre, et le mari a cédé.

Je te le dis tout de go, je ne te parlerai pas de l’auteur; pour moi c’est Ebenezer qui a écrit ce livre. Eby existe. Je te présente donc les mémoires d’un octogénaire mi-rigolo, mi-touchant, mi-nostalgique, mi-aigri, mi-sur la route de la sénilité (ça fait beaucoup de moitiés pour un seul homme), qui vit et a toujours vécu à Guernesey.

Bon dieu le charme de cette île !! J’avais déjà envie d’y aller après ma lecture du Club littéraire d’amateurs d’épluchures de patates mais alors maintenant que je connais Eby et son amour pour son île….Je me dois d’y aller en pèlerinage en son honneur (wink wink cher époux si tu passes par là). Après vu ce que mon nouvel ami dit des touristes, je ne suis pas sûre qu’il serait excité de me voir débarquer avec mon K-Way et mon appareil photo…

Franchement, il est marrant Eby, parce que d’un côté il nous raconte sa jeunesse, sa manière de faire avec les jolis jupons, ses samedis soirs et ses tours en vélo, et de l’autre, c’est le vieux Ebenezer qui parle des jeunes « d’aujourd’hui », des voitures, des touristes, de la télévision et des choses qui changent de manière ronchon, et comme un vieil aigri en vérité. Ce contraste est vraiment plaisant pour moi; tu vois je lis un vrai journal de vieille personne, il raconte avec nostalgie, espièglerie et plaisir ses frasques de jeune homme mais en même temps il parle du monde et des gens d’aujourd’hui avec mépris parfois, avec regret et condescendance aussi. Mais, et c’est ce que j’adore quand on donne la parole à des vieilles personnes, il est encore le Eby d’avant, il a encore des choses à dire, des souvenirs à raconter et des réflexions pertinentes à partager malgré le fait qu’on le prend pour un vieux débris râleur qui perd la boule. D’ailleurs, Ebenezer ne raconte pas que sa vie. Il nous parle de ses proches, des querelles incessantes entre ses tantes Hetty et Prissy, des ses cousins et de sa sœur, de ses amis…et des heurs et malheurs de tout ce petit monde et leur descendance, parfois c’est rigolo, parfois c’est tragique. Bref on connaît les potins et secrets d’une bonne partie de l’île. Ebenezer nous dit ce qu’il en pense sans jamais être cruel ni moqueur.

« J’écris pour me tenir compagnie, en réalité. Je ne pense pas que quelqu’un ait jamais envie de lire ça. C’est l’histoire de ma vie, mais il y a aussi beaucoup de choses sur ma famille, mes amis et des gens qui ont vécu à Guernesey ces soixante ou soixante-dix dernières années. […] J’ai essayé de mettre le pire comme le meilleur, mais il faut lire entre les lignes. »

Quand il parle de la guerre, il est honnête et humain. Eby n’est ni français ni anglais, il est Guernesiais. Alors, la der des der, lui, il n’a rien à y faire. Il veut rester tranquille sur son île et ne pas aller se faire tuer sur le continent pour des terres qui ne sont pas les siennes. Si on le réquisitionne, il obéira, mais hors de question de se porter volontaire. Pareil pendant l’Occupation, la faim était atroce, mais certains allemands étaient sympathiques.

Et surtout….l’amour d’Ebenezer !! D’abord celui qu’il a pour Jim….Je suis sûre qu’ils sont des âmes sœurs platoniques ces deux-là. Parfois, à sa manière de parler de Jim et aux paroles des autres qu’il rapporte, j’ai l’impression que leur relation est un peu comme celle de George et Lennie dans Des souris et des hommes de John Steinbeck. Jim serait légèrement comme Lennie, imposant par la taille mais pas très intelligent, un peu enfantin et maladroit, mais profondément gentil, sauf qu’il ne fait vraiment de mal à personne. Et Ebenezer serait, comme George, à la fois son frère de cœur et son protecteur, son ami envers et contre tout. En tout cas, ils peuvent ne pas se voir pendant des semaines, cela ne change rien, ils ne sont pleinement heureux et pleinement eux-mêmes qu’ensemble. Puis son amour pour Liza…auront-ils leur Happy End ? Rien n’est moins sûr, mais je ne te dis rien de plus sur eux…c’est bien plus croustillant et émouvant de le découvrir par la plume d’Eby. Et enfin, il y a Raymond, Tabby, Neville et Adèle…J’aurais tellement de choses à t’en dire. Ils sont tellement vivants eux aussi. Mais je me rends compte que je pourrais t’écrire un roman sur ce livre et que je risque de tout te gâcher !

« Je peux comprendre qu’on se batte à un contre un, ou même qu’on fasse la guerre, soldats contre soldats, mais fabriquer des trucs pour aller tuer des millions de gens qu’on ne connaît pas et qu’on n’a même jamais vus, tout ça parce que quelqu’un assis dans un grand bureau a décrété qu’il le fallait: non. Je ne pouvais pas lui laisser ce que je possédais pour faire ça ! Je ne pouvais pas ! »

Pendant son récit, Ebenezer nous raconte aussi qu’il cherche un héritier qui lui convienne. Sans descendance, il peut léguer ses biens à qui il veut. Eh beh crois-moi, il ne laissera pas son bas de laine à n’importe qui ! T’as une voiture ? Tu dégages de la liste ! Il est comme ça mon p’tit Eby. En tout cas, peu après qu’il ai fait son choix, les deux-trois derniers chapitres arrivent. Je te le dis parce que c’est toi, l’un de ces chapitres est merveilleux, aucun n’est triste et pourtant…j’ai pleuré. Parce que la fin de ce livre ne signifie qu’une chose. Eby est parti.

Bisous, une Bestiole endeuillée.

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